A L’AUTRE BOUT DU BOUT DU MONDE
-Extrait du carnet de bord-
NUNATAK a été fort bien préparé pour cette navigation et les 2 années à venir au Sud du Sud. Une préparation longue et minutieuse mais primordiale pour naviguer sereinement dans ces eaux. Voici un extrait de liste de travaux effectués ces derniers 3 mois:
Carénage: grattage vieille antifouling, application 3 couches epoxy Hempel et 3 couches Antifouling
remplacement d'un bout de tôle oxydée dans la partie coffre arrière
remplacement du passe coque eau refroidissement moteur par un plus gros diamètre et ajout d'une deuxième entrée refroidissement en cas d'obturation de la première par des algues.
Alignement moteur
Remplacement bague hydrolube
vérification et redressement de l'arbre d'hélice
Usinage de l'arbre d'hélice au niveau de la bague hydrolube, ici les bagues vendues sont en pouces et non en metrique
Révision joint tournant
Réparation axe poulie drosse de barre
traitement point de rouille extérieur/intérieur
Réparation couvercle baille à mouillage
Redressage ancre et renforts inox soudé sur la verge, tordue lors d'un mouillage ventée
Réparation et entretient guindeau endommagé en même temps que l'ancre
Marquage de la chaîne tous les 10 mètre avec peinture époxy
Remplacement étais enrouleur et dépose/inspection enrouleur
Remplacement étais trinquette et des 4 bas haubans par diamètre supérieur
Remplacement des plexis de hublot de pont, usés par l'age et les UV ou fissurés
Fabrication de 4 poulies en inox pour palan bastaque volante en remplacement des anciennes en alu jugées trop faibles.
12 Barbecue dominicaux avec les copains argentins ou de tous horizons
Révision pompe de cale manuelle extérieur
Calage/arrimage des différentes chaînes et ancres dans coffre arrière pour éviter tout risque de ripage
Travaux sur l'étanchéité totale du pont:
Coffres arrières étanches
Système d'obturation des divers aérateurs
Le bateau est étanche à l'endroit comme à l'envers, le capitaine ne supporte pas l'entrée de la moindre goutte d'eau de mer à l'intérieur lorsque les vagues balaient le pont.
Moteur: déculassé cylindre central pour décalaminage chambre de refroidissement, à l'origine d'un soucis de température moteur
installation d'une jauge pression d'huile, important pour la surveillance du circuit de graissage moteur
révision et/ou remplacement des câbles du circuit électrique moteur/alternateur/démarreur
nettoyage/dégraissage/peinture moteur
Remplacement pléxis abris de cockpit et renfort par des tubes inox servant de main courantes
Arrimage des batteries et mise au point d'un couvercle bac a batterie étanche
Vissage des coffres et planchers
Réaménagement de la cabine de Maïa, de 2 couchettes superposées en 1 seule plus grande, réclamé de longue date.
Révision des voiles
Préparation
-Thom-
De bonnes améliorations pour NUNATAK, grande satisfaction à la vue du résultat mais aussi grosse fatigue du chantier permanent. On a fait quand même pleins de bonnes rencontres, partagé de nombreux matés, participé à une multitude de conversation sur le lieu de travail, quelques parties de foot avec les copains du chantier naval, accueillis la Maman
et la Tante
de Nadine 1 mois, le tout avec amour, patience et volonté, joie des rencontres et de prendre le temps, d'être disponible pour se rencontrer. C'est la principale raison d'être du voyage. Tant pis pour les musées, les coins touristiques où tout le monde va s'agglutiner. Nous avons été accueilli au cœur du quotidien des Argentins.
Un équipage de quatre personnes est idéal pour ce genre de navigation et les 3 équipiers sont sélectionnés parmi les flibustiers, les renégats, les bannis, ceux qui n’ont pas de date de retour, seul l’horizon les attend, ils s’enivrent à l’iode pure, ont foi en leur Capitaine et n’ont d’yeux que pour leur navire…
JB, naingénieur renégat, a déjà participé à une virée brésilienne de deux mois et connaît bien NUNATAK et les traitements du Capitaine. Après 6 mois d’activités au Pérou, Bolivie, Argentine, il remet son sac à bord comme prévu de longue date, un homme de parole, très fiable en Mer…
Manu, Capitaine de boutre, banni par son clan, cherche une voie vers les glaces du Sud. Il embarque pour un voyage de reconnaissance sur les richesses de la Terre
de Feu, ramener une part du trésor pour retrouver sa place dans son clan et le guider sur la voie des glaces au Sud du Sud. C’est le boulanger du bord, le bricoleur génial, il se découvre maintenant dans l’écriture.
Amandine, chasseuse de tête, elle mitraille entre les deux yeux tous ceux qui croisent son chemin. De la chasse à la baleine à l’ours des récifs, tout y passe, elle a la gâchette facile. Il ne vaut mieux pas se la mettre à dos. On ne sait pas d’ailleurs ce qui s’est passé sur le navire qui l’a amené de La Rochelle
à Buenos Aires. Ce qui compte pour elle, c’est de continuer sa chasse vers le Sud, se mettre le bout du monde dans la ligne de mire de son Canon.
Départ
23 janvier
-Thom-
Appareillage de Buenos Aires pour le Sud, avec un solide équipage, Nadine et les filles préférant se la couler douce plutôt que d'affronter les vents et les vagues légendaires des 40ieme rugissant et des 50iemes hurlant.
D'ailleurs ça commence fort dans le Rio de la Plata
avec un fort vent contraire à déplumer une tourterelle...Tout le monde s 'accroche et se dit que ce n'est rien en rapport avec ce qui nous attend dans le Sud. On ne le sait pas encore mais cette première nuit difficile en eau douce ne sera plus égalée jusqu'à Ushuaïa. Première étape (2 jours 260 milles) se termine à Mar del Plata, quelques mises au point, NUNATAK a l 'air d'un bel étalon, tirant sur ses entraves, prêt à bondir sur les vagues, dans sa quête vers le Sud.
-Jibé-
Le Rio de la Plata
est épais aujourd'hui, il chahute Nunatak qui lutte contre un vent contraire et vif. Comme on essaie de se préparer à des navigations lourdes, ces premiers paquets d'eau douce ne nous ébranlent pas; c'est pourtant les conditions les plus musclées que j'ai rencontré dans le voyage. Le vent adonne au milieu de la nuit.
La nuit suivante, Nunatak se laisse docilement barrer vers la Croix
du Sud, fait glisser sa bedaine de tôle à neuf nœuds et se lisse deux moustaches d'écume bleuâtre et phosphorescente. Une lune énorme s'est levée, et comme elle a commencé à se faire croquer un coin, on a l'impression qu'elle penche sa face bonhomme sur le cas d'une petite voile aux couleurs malouines traçant sa route de terre de fées à terre de feu. Comme moi, cap'tain Thom a remonté son haut col polaire jusqu'à ses rêves mélancoliques en reprenant la barre. Portishead et les vagues s'emmêlent.
Mar del Plata
27-28 janvier
-Jibé-
Arrimage aux pontons de Mar del Plata, le lieu noir pêché au crépuscule est déjà cuit, et cette fatigue qui nous assomme de calme et qu'il serait dommage de gâcher d'une sieste.
Parmi ceux qui rêvent de Pacifique, une minorité tente la route Sud. Ceux-la ont un peu d'avance sur nous. On ne croise que ceux qui se sont fait souffler par les quarantièmes, les démâtés, les échoués; fortunes de mer contées d'une voix amère, regard grisâtre de désillusion, ils ont compris qu'il n'y aurait pas d'autre chance, qu'ils sont trop vieux, leur bateau aussi, et que ce bord les ramène en arrière, en Europe. On les écoute avec les tripes, encore deux degrés, une journée de navigation, et l'on rentre dans l'inconnue de ces latitudes mythiques.
-Thom-
Une fenêtre s'annonce rapidement et nous fonçons tête baissée, toutes voiles dehors pour la péninsule Valdez, qu'il nous faut atteindre avant l'arrivée d'un vent de Sud. Cela se jouera a l'heure près. Une navigation menée tambour battant, qui fait le bonheur de tout l'équipage. Le ton est donné : on ne chôme pas dans les manœuvres sur NUNATAK, de jour comme de nuit...d'ailleurs le pilote est remisé, quart de barre pour tout le monde. J'aime l'idée du relais à la conduite du bateau, ça crée le lien entre équipiers, NUNATAK et la Mer. Tous
unis, pour le meilleur, pour le pire. Le pilote automatique rend les quarts passifs, plus mous. Et si le temps se gâte, il faut que chacun soit opérationnel à la barre, familier avec les réactions de la monture. Ce n'est pas au cœur de la nuit dans la tourmente que l'on apprend par magie à négocier les vagues.
-Jibé-
Ca n’a pas chaumé cette nuit, même le spi orange de la lune s’est essoufflé à nous suivre et finalement blafard a abandonné. Manu a cravaché 4h30 –c’était qui de quart à 5h?- mais ça ne suffira pas : la dep nous attend devant la Punta Delgado
de la péninsule ; une petite estocade juste dans le museau. Valdès la complexe, vents et courants tricotent une maille irrégulière et aléatoire, on s’entête jusqu’à l’abri de ses falaises sables où s’accrochent quelques dunes.
Peninsula Valdès
31 janvier
-Amandine-
J’ai une boule dans la gorge, en arrivant sur la plage déserte de ce coin du Golfo Nuevo. Pourquoi, je me le demande. J’aime sentir ce presque, presque à en pleurer. Sur cette terre de calcaire, de roches qui s’effritent, parsemées de fossiles, le soleil chauffe les galets à la façon des routes goudronnées l’été et rend flou l’horizon. Thom fait des ricochets et je mets dans mes poches quelques trouvailles, pour l’après.
Ce soir, on fête les 26 ans de Jibé. Nous avons retrouvé inopinément une brique de vin, transformé en vin chaud (pas d’alcool à bord). Dehors, tout est moite, un peu dense et prend le grain d’une photo noir et blanc. Il n’y a rien que le bruit de quelques loups de mer, les reflets scintillants des algues phosphorescentes, une nuit sans lune. Il y a juste cet endroit où court, entre les vents, l’âme de je ne sais quoi, c’est juste qu’on le sent.
Le lendemain, le vent souffle encore, naissant à l’aveugle parmi l’immensité, comme un animal marin surgit du dessous et se met à glisser à tout va vers le large, en fuite, alors que nous restons retenus par l’ancre. Je rêvais dans ma nuit qu’un autre bateau venait mouiller à coté de nous. Mais il n’y eu aucun autre bateau.
Camarones
3-6 février
-Jibé-
Première véritable escale par 44°48’ sud. Le port de Camarones se satisfait de l’animation de quatre petits chalutiers oranges et rouilles; le prochain village est à deux cent cinquante kilomètres. C’est la fête du saumon aujourd’hui -saumon de mer ou faux saumon-, on s’est vu offrir des assiettes si hautes qu’on distinguait mal l’autre bout de la journée par dessus. Au retour de pêche il a fallu se serrer un peu le long de la jetée, les pêcheurs curieux nous ont alourdi d’un saumon si long qu’à six on a peiné à l’entamer.
Un jeune français jovial vit ici, son brise de mer est a couple ce soir. On est le premier – et dernier – voilier à faire escale à Camarones cette saison. Le cap’taine est heureux de cette magnifique nav, de la Patagonie
qui s’annonce, les lions de mer et les manchots barbotent autour du bateau, il a retrouvé la dernière bouteille dans les fonds de cale, c’est de la prune. Elle nous occupe jusqu’à l’heure de doubler et tripler les aussières des chalutiers menaçant d’acier. Les 40e se réveillent.
Laurent et Consuelo veillent rêveusement sur leur paradis de caletas et de vents : Pétrels géants, albatros à sourcil noir, manchots de Magellan, lions de mer, dauphins de Peterson, orques, Baleines franches.
Départ de Camarones les idées lourdes, 30 nœuds de vent dans l’étrave. S’arracher à nouveau, brutalement. Grosse nav jusqu’à Caleta Sara – 8 milles. Canal Leones, Baies des Français, la Patagonie
infinie concentre ici son agressive beauté aride, nuances sèches de ses côtes déchirées jusqu’à l’incroyable repaire de pirates de Caleta Horno. On y délivre un carton de provision commandé par BLU par un bateau hollandais, sans s’arrêter, la fenêtre est bonne, infatigable Nunatak. On prend le 4e ris dans la nuit, juste pour l’essayer et attendre la marée.
Puerto Deseado
8-9 février
09 h 00 DEPART pour l’ultime étape vers le Sud, 450 milles environ. Départ en fanfare d ailleurs, après avoir échappé de justesse à un échouage au mouillage, grâce à l’intervention express de l’équipage et une petite rafale de vent salvatrice. Ca aura été le thème de cette escale, je nomme les différentes techniques de mouillage :
N°1 :prise de bouée de signalisation d’épave. Evacuation rapide car pas prévue pour un bateau, sur conseil des locaux.
N°2 : a couple d’un bateau de pêche de 36 m
de long, 8 m
de haut …confortable, sympa, mais avec le vent de sud prévu cette nuit, on risque d’être plaqué et de mal dormir. On évacue.
N°3 : mouillage patagonien au Club Nautico, mais au moment de reculer sur l aussière arrière, on se rend compte qu’il n’y a pas d’eau. On ramasse tout en quatrième vitesse et on part vers l autre rive pour un mouillage plus banal, au bord de la nuit. C ‘est le N°4 de la journée, parfaitement réussit. Nuit tranquille.
Le lendemain, nous avons pu échouer NUNATAK contre le quai en bois pou changer la sonde. Un peu en vrac mais ça passe. Nuit de fête pour Manu et Amandine. Nuit Prefectura et veille des amarres ppour JB et ma pomme.
C’est alor que tout c’est enchaîné : l’écouage échappée belle, la rapide décision de prendre le large, s’échapper de cet endroit qui nous cherche des histoires, la sortie dans le fort courant du chenal en plein transfert de gasoil, un bordel innomable l’interieur comme à l’exterieur. Heureusement, avec la bonne humeur qui caractérise l’équipage, tout a été réglé en deux coups de cuillère a pot.
Météo prévue pour cette étape Ultima
Vent de N 20-30 Nœuds les 1ere 24h
Puis variable 48 h
A 140 nm DU CAP HORN
-JiBé-
Manœuvre en chaussettes-de laine, soit, mais un peu plus pour notre humeur coocooning. Manu ne se reveille plus, c’est bon signe, et on lit dans les yeux de Thom, « ‘tain on va le payer » . Quelques raideurs au niveau du carcan judéo-chrétien : parfois une dépression se déchire contre le courant, d’autres fois on glisse sur les alizés des 55°Sud, maté et musique brésilienne. Pas la peine d’y trouver une raison logique, laissons la cause-à-effet aux prètres et aux mécanos.
Isla de los Estados
-Manu-
Nous nous attendions en partant de Buenos Aire à des mers dures ,des vents de 30 nœuds dans le nez voir plus, a nourrir un peu les poissons .Rien de tout ça, sans doute beaucoup de chance, et aussi un capitaine très réactif aux infos météo. Et nous voilà arrivés au phare du bout du monde, dans un décor que nous n’aurions même pas oser rêver .Un fjord entouré de montagnes au milieu de nulle part, des petits carrés de neige sur les sommets, des lacs sur les hauteurs, une cascade au loin, un ciel bleu et pas de vent, le silence entrecoupé du bruit de l’eau qui ruisselle des versants pour venir rejoindre l’océan. Un endroit qui donne l’envie d’y revenir et d’y rester un mois ou deux.
14-15 février
Détroit de Le Maire
-Manu-
Endroit beaucoup moins mythique que le cap Horn, le détroit de Le Maire n’en est pas moins beaucoup plus dangereux; plus de courant, pouvant aller jusqu'à 8 nœuds et lever une mer a faire pâlir tout l’équipage. Mais encore une fois la météo est avec nous, juste un peu de vent de sud, histoire de nous rappeler que ici tout est possible. Nous progressons lentement mais sûrement en admirant une belle houle de trois mètres par temps calme qui nous laisse présumer des conditions par mauvais temps.
Canal de Beagle
17- février
Virage à 90 degrés, ce soir nous arrivons au bout de notre route plein sud depuis notre départ de Ste Marine il y a 1 an ½. Cap à l’ouest timonier. Une vague de bonheur me submerge. Devant nous le canal de Beagle, Ushuaïa à moins de 100 milles, le Horn légèrement sur bâbord à 60 milles. C’est bien la plus belle de toutes les navigations. Un équipage parfait. Un bateau super fiable. Une météo clémente. De bons choix tactiques. Comme j’aimerais que Nadine et les filles soit là. La prochaine, ce sera ensemble. Les yeux gonflés d’émotion, les sens à fleur de peau, je prends conscience que je suis au rendez vous avec mes rêves. Je ne m’attendais pas à un tel effet. La dernière fois que j’ai ressentis cela c’était à la naissance de Kahina. Voilà 4 ans que l’idée à germée, c’est maintenant que tout commence, c’est une renaissance. Patagonie, Terre de Feu, on est là. Merci Mère Nature de nous avoir laissé passé. Nous entrons au Pays des Rêves…
USHUAIA
Quelle force dans ce paysage, ces montagnes à perte de vue qui tombent dans la Mer. Quel
endroit magnifique pour y mourir. C’est ici que Nicole a tiré son dernier bord. Triste nouvelle, vite remplacée par le sentiment qu’elle est partie entourée de cette Nature qu’elle aimait tant. Comment rêver d’une plus belle fin. La vie ne tient qu’à un fil, et pourtant nous sommes capables des plus grands exploits. Il n’y a aucun doute, essayons d’aller au bout de nos rêves, ça rend le passage plus facile…
Je dédie cette navigation à mon Père qui a eu la bonne intuition de me laisser partir vers la Mer
4 mois avant le Bac, à ma petite Maman et mon frère, leur soutient et leur enthousiasme pour notre vagabondage malgré l’éloignement sont la plus belle preuve d’Amour.
Premiere rencontre Ushuaienne: Juan, qui me demande le nom de notre navire, et me repond "quel joli nom, le mont Olivia qui domine Ushuaia est un Nunatak, bienvenue au pays",encore une fois cette sensation d etre au bon endroit, c est la quatrime personne que je rencontre qui ne demande pas ce que signifie NUNATAK. Maintenant que toute la famille est reunit, l'aventure continue au pays des Nunataks...